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Petit journal de l’action

Collège Félix Arnaudin de Labouheyre

Lorette Larras, documentaliste, raconte en détail l’aventure du « Carré blanc sur fond blanc ».
De la prise de contact inhabituelle jusqu’à la construction et la réalisation d’une action assez folle !

 

PREMIER CONTACT
Lorsque Jean-Philippe nous a présenté son projet à l’ACL de Sabres nous étions plusieurs à nous demander où toutes ces paroles allaient nous mener.
Un projet de collectage, d’agitation de neurones, d’occupation du territoire, de restitution théâtrale et en même temps d’encyclopédie numérique vivante… Toutes ces idées foisonnantes avaient du mal à prendre forme dans ma petite tête de pédagogue habituée aux objectifs clairs et aux modalités détaillées !

LA PAROLE DES JEUNES
J’ai compris que la parole des jeunes était importante dans ce vaste dispositif artistique mais je suis repartie sans thème, sans classe précise, sans savoir si les élèves seraient filmés dans leur quotidien ou si on attendait autre chose de l’équipe pédagogique. J’avais l’espoir de faire un pont avec les collégiens de Labrit « dans le cadre » du projet Culture en herbe. Je pars du principe que les rencontres entre les différents établissements sont toujours enrichissantes, surtout autour d’un projet artistique.
La soirée d’agitation de neurones à la médiathèque de Pissos qui a suivi, absolument informelle, m’a laissée… coite ! Des réflexions, des questions, des discussions… Qu’allais-je en faire avec mes élèves ? Ces histoires de « faire autrement », de petites alternatives, d’évasion en gestation, ça sonnait « développement durable » (oui, ça fait partie de nos programmes aujourd’hui !) et j’avais peur de partir vers des messages moralisateurs ou culpabilisants, avec un côté « boboisant ».

ARTOTHEQUE
C’est la performance scénique jouée à l’Estrade à Sabres, en décembre, présentant la Forêt d’art contemporain, qui m’a apporté le déclic attendu. J’avais enfin mon sujet.
Sur proposition du professeur d’arts plastiques le CDI accueillait depuis peu des œuvres d’art contemporain prêtées par l’Artothèque de Pessac. Les élèves de 3èmes avaient commencé leurs exercices de médiation autour des tableaux et photos, les autres classes visitaient l’expo en dilettantes durant les heures d’étude et ces passages suscitaient de nombreuses réactions, notamment des réactions d’incompréhension. Ce sont ces gestes ou paroles sceptiques, voire critiques qui ont fait écho en moi lors de la conférence théâtrale. Les tableaux proposés par le professeur étaient un peu comme les œuvres déroutantes installées dans cette forêt des Landes girondines selon la volonté de quelques habitants.

RESIDENCE ECLAIR
Lorsque Jean-Philippe m’a appelée une semaine plus tard le projet de résidence au collège a très vite pris corps : nous allions écrire et tourner des scènes de visite d’un musée, dans l’esprit de Musée haut musée bas de Jean-Michel Ribe, ou encore Art de Yasmina Réza. Nous avions notre point d’ancrage.
De là a émergé un projet participatif réunissant trois classes de différents niveaux ainsi que l’atelier théâtre du collège.
Nous avons organisé une résidence « éclair » ponctuée de trois temps forts : collecte, écriture, tournage.
C’est l’atelier théâtre qui a ouvert la voie lors du premier après-midi de collectage en découvrant le projet. A ce stade de l’année les jeunes du groupe étaient déjà complices et les propositions du metteur en scène ont été accueillies avec enthousiasme. Ecrire et tourner un film ensemble : super !

CARRE BLANC
Les 5èmes qui avaient cours d’arts plastiques ont été invités à s’asseoir dans la salle d’expo devant les œuvres. Après quelques jeux scéniques proposés par Jean-Philippe ils ont dû deviner le sens de ce qu’ils avaient devant les yeux. Combien d’œuvres ? Exposées de quelle façon ? Pourquoi ? Que racontaient-elles ? Avec l’aide de Mme Massicault, leur professeur, ils ont réussi à déchiffrer l’affiche d’Obey, la série de photos de Sophie Calle et le carré blanc de Downsbrough. C’est ce carré blanc évidemment qui a ensuite inspiré les textes. Un carré blanc, « vide », dans lequel en regardant bien on peut voir son reflet sur un estampage laissant apparaître le mot « here ».
Je regarde cette œuvre. « Ce truc blanc ». Moi. Ici.

CURIOSITE
Les troisièmes ont évoqué l’art contemporain en cours de musique en s’appuyant sur ce qu’ils avaient vu en classe mais surtout en convoquant les souvenirs de la sortie à Bilbao au musée Guggenheim. Une mine pour parler de notre sujet, avec les réactions d’incompréhension qui n’ont pas manqué de fuser ! « Mon petit frère en fait autant ! »…
Les élèves de sixièmes se sont quant à eux tournés vers l’idée de la rencontre avec l’œuvre, dans une acception plus ouverte. Pour découvrir un tableau il faut se montrer curieux. Mme Cominotto, le professeur de français, les a donc orientés de suite vers un effet de liste à la Perec : Curieux/pas curieux. Les jalons étaient posés pour la phase d’écriture.
Deux semaines plus tard ce second temps a permis de donner forme à tous ces échanges. L’AMGC a pu collecter des mots, des phrases, des listes rédigées au CDI par les élèves mêlant des termes techniques à des impressions personnelles.

MISE EN SCENE FILMEE
Dès la rentrée des vacances d’hiver les élèves de l’atelier théâtre se sont prêtés au jeu de la mise en scène filmée. Pour l’anecdote c’est le jour où il a neigé dans les Landes… Ce fut un joyeux bazar : profs et élèves absents, agitation euphorique, inquiétudes sur la fonte ou non de la précieuse poudre blanche, batailles de boules de neige en extérieur, cris hystériques en récréation traversant les vitres du lieu de tournage !
Mais l’équipe des mécanos s’est montrée redoutablement efficace. Le décor a été installé, les textes distribués, les rôles attribués, les vêtements enfilés.
Sans trop réfléchir il a fallu fixer la caméra, répéter les phrases tout juste apprises en incarnant des personnages : A, B, C, D, E ! Le râleur, l’indifférent, le rêveur…
Et surtout ne rien lâcher : recommencer jusqu’à la bonne prise, avec le bon cadrage, la bonne bande son, la bonne façon de manger le sandwich (pour de vrai, effet de réel garanti !)
C’est dans ces moments-là qu’on sait qu’on travaille avec de vrais professionnels ! Concentration non négociable.
Les conseils des artistes étaient bienveillants et exigeants à la fois. On a vécu une matinée dense et exaltante !
Une semaine plus tard le montage était bouclé.

RESTITUTION AU COLLEGE
Nous avons assisté aujourd’hui 8 février à une projection commune du film au collège : tous les élèves ayant participé à une quelconque étape du projet ont été invités, ainsi que de nombreux professeurs.
Les visages de nos élèves acteurs ont occupé l’écran durant trois minutes en se croisant, en nous regardant, en jouant avec les cadres, de façon cadencée, amusante, méfiante, provoquante, poétique, parfois très émouvante.
Lorsque les lumières ont été rallumées les commentaires ont fusé : se regarder, c’est très difficile pour des jeunes qui se découvrent pour la première fois sur un écran !
Les élèves qui ont participé à l’écriture se sont retrouvés aussi en regardant le résultat de leur travail, avec l’impression que les acteurs avaient magnifié leurs mots. « On trouvait que c’était nul mais en fait non, c’était bien dans le film » !
Et en effet on ne peut qu’applaudir devant le court-métrage incroyablement valorisant pour ces collégiens qui ont tenté l’aventure !
Le séquençage entre les scènes de réaction devant un tableau et les phrases égrenées sur la curiosité parfait ce sentiment de réalisation collective.

CREATION PARTICIPATVE
Et c’est bien ce projet participatif que nous a fait toucher « de l’œil » la compagnie théâtrale. Sur le dépliant présentant l’encyco des mécano se détache ce sous-titre en lettres jaunes : « Paroles d’habitants et création participative ».
Ca y est, on a enfin compris ce que Jean-Philippe cherchait à nous expliquer depuis le début : cette œuvre il faut se l’approprier, il faut la vivre, il faut l’écrire, la lire et la jouer !

Et surtout être curieux !